La Seine monte. Paris s’organise face aux craintes d’inondation. Un chantier creuse toujours plus profondément des fondations. Une voisine sort de temps à autre fumer sur sa terrasse. Dans l’appartement dans lequel le narrateur vient d’emménager se trouve un âtre. Dans un Paris détrempé par les pluies incessantes, il cherche du bois.
Je ne suis pas doué pour le feu.
Dans une ville qu’on peut traverser sans croiser le moindre feu, trouver un peu de bois (pas même sec) se révèle être une aventure à laquelle se livrer entièrement, jusqu’à en oublier ses propres besoins vitaux (Je me promets de rapporter quelque chose à manger quand je retournerai chercher du bois). C’est glaner qu’il faut faire. Ramasser dans la ville les quelques restes de bois qu’elle même rend rares (un bout de palissade, de palette). Ou bien cueillir ceux que son fleuve, dans sa crue, amène d’un ailleurs. Ou encore s’exiler vers cet ailleurs pour en arracher quelques bouts et en remplir une pleine valise.
Je suis rentré mouillé, deux branches à la main. Deux rameaux courts, glanés autour d’un parterre de pensées. Deux scions oubliés. Deux tiges humides que le carton ne suffira pas à enflammer.
Certes, « La montée des cendres » est un catalogue de techniques utiles au maintien d’un feu en milieu urbain. Il est aussi le récit documenté d’un chantier, d’une inondation. Il est également tentative de la description (presque tentative d’épuisement) d’un feu, dans la diversité de ses couleurs, dans la saisie de l’évanescence de ses flammes. Il est évocation (peut-être) d’un amour naissant (peut-être). Il est exercice ludique (les amis sont partis. Ils me laissent des cendres. Je ne les ai pas accompagnés dans l’escalier). Tout cela comme suspendu. Laissant dans l’esprit de celui qui lit une irrépressible sensation d’attente. Mais il n’est pas récit d’une attente, il est cette attente même.
Je suis assis depuis longtemps, immobile, sans imaginer ce que j’attends.
Ce que réussit Pierre Patrolin, c’est à créer de l’attente. Non pas classiquement reposant sur un récit dont on suspend le fil à sa péripétie. La péripétie est bien là. Mais elle est ad minima dans l’ « évènement », toute entière dans la langue. Ce qui advient advient par la langue. Qui crée, elle même, les conditions de la survenue de ce qui viendra résoudre cette attente : l’imprévu. Comme « La traversée de la France à la nage » , « La montée des cendres » est une sublime et magistrale démonstration de ce que peut une écriture ramenée à son essence.
comme une eau sèche [...] un corps réduit à sa douceur, concentré dans sa capacité de ne pas peser, ou d’oublier son poids.
Pierre Patrolin, La montée des cendres, 2013, P.O.L.